A chaque fois, le rituel est le même. Au journal de 20 heures sur la télévision nationale, le secrétaire général du gouvernement annonce la liste des membres de l’équipe gouvernementale.
L’exercice intervient après chaque remaniement ministériel ou la formation d’un nouveau gouvernement. Ni ordre alphabétique, ni ordre thématique. Seul l’ordre protocolaire compte. Symbolique ou honorifique, à quoi correspond véritablement cet ordre protocolaire ?
Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne dans un gouvernement. Non seulement l’ordre protocolaire compte mais les membres du gouvernement peuvent avoir le titre (du plus prestigieux au moins prestigieux) de ministre d’Etat, de ministre, de ministre délégué ou de secrétaire d’Etat. A l’annonce de la formation d’un nouveau gouvernement, l’opinion publique s’empresse de faire maints commentaires. Elle s’interroge surtout sur le nombre de postes ministériels, la problématique du genre, les partis d’appartenance des membres du gouvernement et bien d’autres encore. Mais un observateur bien averti scrute avec délicatesse la position des ministres dans le gouvernement autrement dit l’ordre de bienséance.
“La hiérarchie gouvernementale résulte d’un choix discrétionnaire du président de la République et du Premier ministre lors du décret de nomination, écrivent Henri Oberdorff et Nicolas Kada dans leur ouvrage Institutions administratives (Sirey, 2013).”
Et dans l’actuel gouvernement du président Patrice TALON, le ministre Abdoulaye BIO TCHANE est à la première place. Une position qui peut s’interpréter politiquement comme une marque d’honneur et de reconnaissance de mérites du chef de l’état envers celui-là qui était son challenger en 2016 arrivé 4e sur 33 candidats au premier tour de l’élection présidentielle. Evincé au premier tour, il a ensuite soutenu la candidature de Patrice TALON, ce ralliement confère à l’économiste béninois, ancien président de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) un rôle stratégique au sein du gouvernement depuis le premier quinquennat de l’ère Talon. Il a occupé de 2016 à 2021 le poste de ministre d’Etat chargé du plan et du développement et était classé deuxième dans l’ordre protocolaire de (2016 à 2019) juste après Pascal Iréné KOUKPAKI en son temps ministre d’Etat, secrétaire général à la présidence de la république.
Aujourd’hui, Abdoulaye BIO TCHANE est ministre d’Etat chargé du développement et de la coordination de l’action gouvernementale. Il est en tête de peloton dans l’ordre protocolaire , un positionnement qui oriente sur la place que le chef de l’état accorde au développement du pays et au travail bien fait surtout que le programme d’actions du gouvernement pour la période 2O21 -2026 a pour objectif : “Accentuer la dynamique du développent national “.
L’ordre protocolaire peut parfois fournir des indices sur des questions existentielles. Il aide à trouver des réponses à certaines questions importantes de choix et de priorités du gouvernement. Dans le cas de figure de ce nouveau gouvernement, Romuald WADAGNI passe en 2e position en qualité de ministre d’Etat chargé de l’Economie et des Finances. Il a fait son entrée au gouvernement en 2016 au poste de ministre des finances (5e dans l’ordre de préséance en 2016 et 4e en 2019 après le remaniement ministériel). On note une belle promotion pour Romuald WADAGNI diplômé de Harvard Business School (USA), de l’Ecole Supérieure des Affaires de Grenoble (France) et associé de la firme Deloitte France dans ce premier gouvernement du nouveau mandat de Patrice TALON. L’actuel ministre d’Etat chargé de l’Economie et des Finances est l’un des principaux artisans de la restructuration de la dette au Bénin. Il a le secret de dénicher sur les marchés internationaux les ressources pour alimenter l’ambitieuse politique d’investissements du programme d’actions du gouvernement. Faire de l’argentier national, ministre d’Etat serait-il une façon pour le chef de l’état de le remercier pour toutes les victoires qu’il a enchaînées à ce poste au cours des cinq dernières années ?
Ministre d’Etat, ministre délégué, ministre …. Parlons des différences
Les ministres d’Etat. L’actuel gouvernement de Patrice TALON en compte deux. Abdoulaye BIO TCHANE et Romuald WAAGNI. On peut dire que Patrice TALON cette fois ci s’est conformé à son tout premier choix de 2016 après l’expérience de 2019 avec seulement un ministre d’Etat en la personne de Pascal Irénée KOUPAKI comme ministre d’Etat et secrétaire général à la présidence de la république.
Il faut noter que le dernier gouvernement de Boni YAYI prédécesseur de Patrice TALON à la magistrature suprême au Bénin, avait en son sein six ministres d’Etat une première depuis l’avènement du renouveau démocratique.
Les ministres. C’est la catégorie la plus fréquente parmi les membres du gouvernement. Leur nombre est à la discrétion du président de la République. Si les intitulés des portefeuilles régaliens (Intérieur, Justice, Affaires étrangères, etc.) ne changent généralement pas, d’autres subissent des évolutions sémantiques. Ainsi, jusqu’en 2011, on parlait de ministre de la communication et de la poste changement de dénomination en 2016, ministère de la communication et l’économie numérique et scission en deux différents départements en 2019 (ministère de l’économie numérique et ministère de la communication et de la poste) et cette année 2021 plus de ministère de la communication.
Les ministres délégués. Ils sont rattachés à un ministre ou directement au Président de la république. “Ils agissent sur délégation de leur ministère de tutelle, dont ils reçoivent les instructions. Ils disposent néanmoins de la faculté de contresigner seuls les décrets relevant de leur domaine de compétence”, écrit Gérard Pardini dans son manuel Grands principes constitutionnels : Institutions publiques françaises (L’Harmattan, 2009).
L’actuel gouvernement du président Patrice TALON en compte un seul, il s’agit du ministre délégué auprès du président de la République, chargé de la défense nationale. Mais curieusement, ce portefeuille ministériel occupé par Fortunet Alain NOUATIN est en bas du peloton dans l’ordre protocolaire. Est-ce à dire que la défense nationale n’est pas au rang des questions prioritaires pour le président Patrice TALON ?
L’annonce dans l’ordre protocolaire et les enseignements cachés dans la politique du gouvernement. Une indication sur les priorités du gouvernement ?
C’est normalement le but de l’analyse méticuleuse de l’ordre protocolaire. Il sert de boussole à l’orientation de l’action gouvernementale. L’exercice doit aider l’observateur à être plus éclairé sur les choix stratégiques opérés par le chef du gouvernement.
Seulement que dans le cas d’espèce, l’on peine à établir clairement la corrélation entre l’ordre protocolaire et les priorités du gouvernement. Alors même que le chef de l’état a annoncé que ce mandat sera hautement social, le ministère en charge des affaires sociales est en 10e position dans l’ordre protocolaire c’était également le cas en 2019.
L’une des ambitions du chef de l’Etat est de réaliser l’autonomie énergétique au cours des cinq prochaines années difficile donc de comprendre que le ministre de l’énergie se trouve 19e dans l’ordre protocolaire deux en arrière par rapport à 2016 dans le tout premier gouvernement de Patrice TALON soit 17e.
A l’ère du développement des nouvelles technologies de l’information, de la communication et du numérique plusieurs initiatives sont prises pour la dématérialisation des services dans l’administration publique. Le e-service s’entend aujourd’hui comme une évidence à laquelle il faut se conformer mais le ministre en charge de l’économie numérique et de la digitalisation est classé en 16e position sur les 23 ministres appelés à accompagner le chef de l’état dans sa mission républicaine.
Certains secteurs annoncés prioritaires manquent à l’appel aux premières loges de l’ordre protocolaire. Ils sont pourtant importants à prendre en compte pour atteindre le développement souhaité. Il s’agit des secteurs de l’énergie, de l’eau des infrastructures et de l’emploi qui se retrouvent en arrière dans l’ordre protocolaire.
Il convient de noter, la priorité accordée à l’éducation par le président Patrice TALON. Cette option s’illustre par le maintien des trois ministères en charge du secteur. Et la grande nouveauté inattendue de tous, c’est la suppression du ministère de la communication et de la poste.
Par : Zakiath LATOUNDJI, Journaliste
Présidente de l’Union des Professionnels des Médias du Bénin (UPMB)
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